Episode 18

Entre éthique et survie : le difficile choix de Bruno face au cancer

La Dre Myriam Ingle est généraliste et présidente de l’Association Vaudoise des Médecins de Famille. Elle a son cabinet depuis plus de 14 ans à Saint-Légier, où elle a grandi. Elle y suit Bruno depuis 8 ans pour un cancer du foie. Cet ancien commercial de 68 ans a dû réadapter son quotidien pour vivre le plus longtemps possible avec sa maladie et prendre des décisions importantes tout au long de son parcours. Un cheminement complexe et délicat que la Dre Ingle accompagne avec compréhension et engagement.

Modération de Vicky De Paola

05.06.2024

En 2012, Bruno apprend qu’il souffre d’un carcinome hépatocellulaire, autrement dit un cancer du foie. Ce diagnostic marque pour lui le début d’une nouvelle vie, faite de hauts et de bas. Il raconte: « D’abord, apprendre que j’avais un cancer était une mauvaise surprise. Ensuite, quand j’ai su qu’il se concentrait dans le foie et qu’on pouvait le traiter, j’ai un peu repris confiance. Mais les traitements étaient assez pénibles, associés à beaucoup de douleurs et à l’angoisse d’une récidive. »

N’ayant pas de médecin généraliste à l’époque du diagnostic, Bruno décide alors d’entamer son suivi médical auprès de la Dre Myriam Ingle, spécialiste en médecine interne, à Saint-Légier. Depuis 2016, c’est elle qui l’accompagne dans cette lutte contre la maladie et l’aide à comprendre le discours des spécialistes. Elle explique: « C’est une complication de son cancer qui a amené Bruno à l’hôpital, mais probablement qu’il était présent depuis des années. Pour ma part, je ne l’ai connu qu’après cette première tempête. »

Pourtant, en dépit de premiers résultats concluants, c’est la rechute cinq ans plus tard, comme se souvient Bruno: « Les angoisses sont reparties à zéro, mais je savais que les spécialistes pouvaient traiter cette deuxième série de tumeurs. La troisième fois, j’étais même assez serein car je savais qu’il existait des solutions. » A ce sujet, son médecin mentionne différentes alternatives, dont certaines ont déjà profité à son patient: « Il existe des traitements techniques et chirurgicaux vraiment très localisés utilisant la chaleur ou le froid, des produits chimiques ou des ondes, comme c’est le cas de la radiothérapie. »

Le refus de la solution « miracle »
​​​​​​​Aujourd'hui, Bruno doit régulièrement passer de nombreux examens pour détecter d'éventuelles rechutes et les traiter. Selon son médecin, il existe une solution plus radicale qui lui permettrait de se débarrasser définitivement de son cancer: « Comme il s’agit d’un cancer qui ne touche que le foie [NDLR : sans migration du cancer dans d’autres parties du corps], une transplantation pourrait permettre de se débarrasser de cette épée de Damoclès et du risque de récidive. »

Si la greffe de foie, contraire à ses valeurs, lui assurerait une guérison complète, Bruno a pourtant décidé d’écarter cette solution: « L’idée d’avoir l’organe de quelqu’un d’autre est inimaginable, confie-t-il. Si l’on m’avait dit qu’il ne me restait plus que trois jours à vivre, peut-être que j’aurais accepté, je ne sais pas. J’ai dit à un spécialiste du CHUV  [NDLR : Centre hospitalier universitaire vaudois], étonné que je n’accepte pas cette greffe, que ça allait bien pour le moment et que je pensais encore faire dix ans comme ça. Il m’a regardé avec des gros yeux et m’a répondu que, à ma place, il aurait accepté tout de suite. »

Selon la Dre Myriam Ingle, ce type de refus n’arrive pas souvent et peut effectivement surprendre: « La transplantation apparaît comme une solution évidente, radicale et complète, une sorte de miracle de la médecine: on prend une pièce de rechange et on oublie le problème. Certes, ce n’est pas aussi facile puisque le patient reçoit un corps étranger, ce qui implique des contraintes et une médication antirejet à prendre à vie. Mais du point de vue médical, cela paraît simple et efficace. Alors refuser cette aide peut sembler particulier. »

L’empathie au cœur de la relation thérapeutique
Les réticences de son patient à bénéficier d’une greffe ont également suscité des craintes et des interrogations du côté de la Dre Ingle, comme elle le confie: « Je comprends bien que l’option de la transplantation signifie de se sentir redevable envers quelqu’un ayant cédé un lègue considérable. En revanche, y renoncer signifie aujourd’hui devoir continuer à effectuer des contrôles très réguliers, tout en étant conscient que le cancer peut revenir (…). Dans ce cas, quelles sont les alternatives possibles? Comment mettre les chances du côté du patient qui refuse une sorte d’évidence médicale ? Je pense que j’ai ressenti de la peur au début. Mais avec le recul, j’ai apprécié le cheminement que Bruno et moi avons partagé. »

Cette expérience a également amené la Dre Ingle à réfléchir profondément sur son rôle de médecin et sur la pratique de la médecine dans son ensemble : « Ce type de parcours constitue certainement une exemple pour la médecine, en plus d’être un exemple pour moi. En tant que médecin, nous amenons des connaissances aux patients et il est intéressant de voir comment il est possible de les individualiser et de développer un lien (…). Pouvoir prendre des décisions avec mon patient, et non à sa place, est nettement plus valorisant pour lui et pour moi. »

Selon Bruno, cette implication est largement ressentie en consultation. Il estime aujourd’hui être entre de bonnes mains: « La Dre Ingle prend le temps, elle est vraiment là pour le patient (…). Elle parvient à m’expliquer ce qui est compliqué, ça n’a pas de prix. Je ne vais pas faire de publicité car je sais qu’elle ne prend plus de nouveau patient, mais je ne pouvais pas tomber mieux. »

Quant à son avenir, Bruno l’envisage avec philosophie : « Je sais que ces turbulences auront une fin, mais il faut les traverser avec les moyens du bord. »

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