Luc Jeanneret, un retraité de 70 ans, fait une randonnée dans les Alpes vaudoises, aux Plans-sur-Bex, avec sa compagne et son petit-fils, en août 2022. Ils prennent de la hauteur et rejoignent le trou à l’ours, un lieu très prisé des marcheurs et connu pour son passage très étroit situé à fleur d’une paroi très escarpée. Ce grand amateur de montagne ne réalise pas encore qu’il a trébuché quand il se retrouve en train de tomber. Il explique : « J’ai glissé et je me suis retrouvé en très mauvaise posture après une chute assez impressionnante de plus de 45 mètres. J’étais couvert de sang, scalpé d’une oreille à l’autre. Et à ce moment-là, ma compagne et son petit-fils ont décidé d’appeler la Rega. »
Bientôt, un collaborateur de la colonne de secours apparaît en attendant l’arrivée de l’hélicoptère, comme l’explique la Dre Perrine Truong : « En terrain périlleux, nous avons l’aide des spécialistes du secours alpin. Ils sont là pour sécuriser les lieux et nous permettre l’accès à la personne accidentée. » Pendant ce temps, du côté de la station lausannoise de la Rega, les choses s’agitent, comme l’explique la médecin d’urgence, accompagnée ce jour-là par un pilote d’hélicoptère et un professionnel du paramédical : « On reçoit l’alarme et on se met rapidement en route en direction du point de coordonnées. C’était assez particulier car nous avons mis longtemps à le localiser. Il s’est passé presque une heure et demi avant de le trouver. »
En attendant l’arrivée de la Rega, Luc Jeanneret prend son mal en patience : « Miraculeusement, je n’ai rien eu de cassé. Sur cent personnes qui feraient une telle chute, il n’y en aurait pas beaucoup de vivantes en bas (…). J’envisageais même de remonter à pied sur le sentier situé 30 ou 40 mètres plus haut, mais on me l’a déconseillé. J’aurais probablement pu remonter mais je prenais des risques. Et au-dessous, il y avait une paroi de 50-60 mètres de rochers. Donc si je passais en bas, c’était la fin des haricots. Je ne serais pas là pour en parler. »
Une fois arrivée sur place, la Dre Truong examine son patient et pratique les premiers gestes de secours, se souvient Luc Jeanneret : « Elle m’a fait un pansement en tête d’œuf. Après il s’agissait de prévoir l’évacuation donc on m’a mis une sellette et on nous a attachés les deux ensemble. »
Le coup de foudre thérapeutique
Cette relation médecin-patient s’est tissée dans l’urgence et l’intensité du moment. Bien que de courte durée, elle a marqué les esprits de Luc Jeanneret et de la Dre Truong, comme l’explique cette dernière : « Dans le feu de l’action, je ne suis pas vraiment dans l’émotion. Ce qui ne m’empêche pas de ressentir l’émotion de l’autre et prendre ça en compte (…). En plus, c’était l’une de mes premières interventions avec la Rega. Donc bien qu’étant formée et avec de l’expérience en médecine d’urgence, je me retrouvais dans une situation inhabituelle et stressante. Déjà par le fait que nous avons mis du temps à trouver M. Jeanneret, mais aussi parce qu’on travaille avec une équipe plus réduite qu’à l’hôpital, donc on se sent un peu seul. Par rapport à la pratique habituelle de la médecine d’urgence c’est quand même très différent. »
De son côté, Luc Jeanneret garde aussi un très vif souvenir de ce sauvetage et surtout de celle qui l’a sauvé : « D’une façon platonique, j’ai eu l’impression de tomber amoureux car la seule personne qui vous soutient à ce moment-là, c’est elle. C’est un sentiment particulier que je n’ai jamais connu auparavant. (…) C’est la première fois que j’étais dans la situation de la personne sauvée. J’ai davantage l’habitude de sauver les gens que d’être victime. Je n’aime pas avoir besoin de quelqu’un dans ma vie. J’ai envie pouvoir la diriger, de décider et là, le fait de me retrouver comme un petit bébé qui a besoin de sa maman était assez gênant. »
Une relation qui a marqué les mémoires
Il existe rarement autant de promiscuité entre patient et médecin que dans ces situations d’urgence, comme l’explique la médecin de la Rega : « C’est l’une des spécificités du secours héliporté. Quand on est suspendu au treuil, je suis entre les jambes du patient. Nous sommes vraiment proches, dans les bras l’un de l’autre (…). Et au moment où l’hélicoptère nous pose, le patient se met sur le dos et je me couche sur lui pour le protéger du vent. Cela peut surprendre mais c’est aussi l’occasion de rassurer son patient. »
Quelques mois plus tard, Luc Jeanneret s’est rendu à la base de la Rega pour témoigner sa reconnaissance à l’équipe : « Nous nous sommes revus car j’ai tenu à remercier l’équipe avec un petit présent. Et j’ai eu la surprise que Perrine m’appelle pour participer à ce podcast. Cela nous a rappelé bien des souvenirs. » Et son médecin de se souvenir : « Cela m’a fait vraiment très plaisir. Il est venu sans s’annoncer donc c’était un joli hasard que je sois là. Mais il est vrai que ce type de relation n’est pas amenée à perdurer. Elle dure dans les souvenirs. »
