Episode 14

Soignant et ami : la double casquette du médecin de village

Le Dr Joël Berret, spécialiste en médecine interne, s’est installé dans son cabinet de Alle, un petit village du canton du Jura, en 2006. Parmi ses patients, il compte son amie de longue date Sarah Mouttet, 52 ans et secrétaire dans un foyer. Dans cette région manquant de médecins, elle a choisi de lui confier son suivi médical, notamment concernant les aspects gynécologiques et psychologiques. Depuis quelques mois, des blessures du passé remontent à la surface fragilisant Sarah dans sa vie. Le Dr Berret, qui est non seulement son généraliste mais également le parrain de l’un de ses quatre enfants, la comprend comme un ami et la guide comme un médecin.

Modération de Vicky De Paola

07.02.2024

Le Dr Joël Berret et Sarah Mouttet sont devenus amis en 1995, bien avant qu’elle décide de le choisir comme médecin traitant. Elle raconte : « A l’époque, je me suis dit : pourquoi aller chercher ailleurs alors qu’un jeune médecin vient de s’établir ici ? En même temps, je le connaissais bien et je ne voyais pas ce qui l’empêcherait de devenir mon médecin. » Hors du cabinet, leur lien est d’ailleurs si fort que le Dr Joël Berret fait partie de la famille de sa patiente, comme il l’a confié lors de la préparation du podcast : « Je suis le parrain de l’un de ses quatre enfants. » Pour Sarah Mouttet et son généraliste, cette situation a nécessité de redéfinir le cadre de la relation thérapeutique, explique-t-il : « Cela a justifié une petite discussion pour mettre les choses au point, exprimer que nous avions un rôle différent en salle de consultation et que ce qui est dit ici reste ici. »

Une prise en charge globale et personnelle

Depuis l’été 2023, Sarah Mouttet et son médecin se rencontrent bien plus souvent au cabinet qu’auparavant, à raison d’une fois par mois. A l’origine, une fièvre persistante et beaucoup de fatigue : « Mon acupuncteur m’a dit : je vous avais dit que vous étiez épuisée. Alors je suis revenue voir Joël et nous avons mis en place de quoi me remettre sur pied. » Sarah Mouttet, rattrapée par son passé, a traversé une période difficile en 2023. Son médecin se souvient : « Nous avons abordé ses difficultés en lien avec son enfance et sa maman, décédée maintenant. Et il n’y a pas eu besoin d’en dire beaucoup plus car je l’ai connue. »

Dans le registre de l’intime, le Dr Joël Berret promulgue également des soins gynécologiques à sa patiente Sarah Mouttet. Une situation quelque peu particulière qui questionne la proximité de ces deux amis, comme elle le précise : « Je n’ai pas de problème avec la nudité. La seule question qui s’est posée, il y a 25 ans, consistait à savoir si nos conjoints étaient d’accord que Joël devienne mon gynécologue. » Loin d’être compliquée, cette situation représente même une opportunité aux yeux de Sarah Mouttet : « C’est agréable de pouvoir avoir confiance en son médecin (…). C’est une chance. »

« On se connaît tous »

Pour le Dr Joël Berret, cette situation n’est pas inédite dans les zones périphériques comptant peu de médecins : « Dans un village comme Alle, explique-t-il, on se connaît tous (…). Quand j’ai décidé de venir m’installer dans la région où j’ai mes amis, mes proches, ma famille, continue-t-il, je savais que j’allais m’exposer à ce genre de problématique. Sachant que nous entretenons des liens à l’extérieur du cabinet, les patients aussi anticipent cette situation. Des deux côtés, nous mettons notre casquette professionnelle, de médecin et de patient, une fois au cabinet. »

Cette plongée dans l’intimité de ses patients ne s’arrête pas à la question des examens physiques et à la nudité, selon lui : « Je trouve qu’il se passe beaucoup des choses difficiles en termes d’intimité dans les discussions. Il faut aussi oser se mettre à nu pour pouvoir dire qu’on ne va pas bien. Parfois, avec mes patients, nous abordons des sujets plus intimes que de devoir enlever ses sous-vêtements. Cela fait partie de mon métier de mettre les gens à l’aise pour pouvoir les aider (…). Et le fait de se connaître hors du cabinet ramène le médecin en bas de son piédestal. On se connaît et on parle librement. »

Les enjeux de la médecine périphérique

Comme l’explique ce médecin de village, la situation loin des grands centres urbains encourage également les généralistes à porter plusieurs casquettes : « J’ai des centres d’intérêts très larges et ça me convient bien de pouvoir m’occuper d’un bébé de quelques semaines, d’aller au home m’occuper des personnes âgées en fin de vie, de faire un peu de chirurgie, de gynécologie ou des soutiens psychothérapeutiques. C’est intéressant de rejoindre les gens là où ils sont, pour tous les problèmes du quotidien. »

Pour autant, cette pratique médicale de proximité, essentielle, demeure menacée par les conditions économiques et la pénurie de médecin : « Notre métier évolue négativement du point de vue administratif. Il est de plus en plus demandé aux patients de fournir des certificats médicaux. Donc les sollicitations que nous recevons ne correspondent plus beaucoup à des besoins de santé à proprement parler mais plutôt à des demandes de leur environnement social. Et bien sûr, il y la question de la relève. Je travaille ici depuis 17 ans et je reste encore l’un des plus jeunes médecins de la région. Nous sommes moins nombreux, nous avons plus de charge de travail et la pénibilité augmente. »

Dr Joël Berret et Sarah Mouttet

Dr Joël Berret et Sarah Mouttet

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